Critique Film : Chungking Express 重慶森林, Dream Song From HK !!!
Dure tâche que de choisir un film pour aborder le cinéma Hongkongais…on y compte tellement de perles inoubliables, qu’on en arriverait presque à ne plus savoir où donner de la tête.
Par où commencer ?! Histoires de Fantômes Chinois, le Roi Singe, Green Snake pour aborder ses traditions mythologiques ?…Ou bien des contes plus urbains de notre temps menés par frère Chow, à moins que…mmh…mais j’y pense, il y a bien une œuvre toute indiquée pour se laisser porter à travers les ruelles de notre ville de Hong Kong préférée…
Allez, un aller simple pour Chungking Express s’il vous plaît !!
Nous voilà arrivés sur le tarmac de l’Été 94…juste le temps d’avaler un canard laqué à Tsim Sha Tsui et on s’y met…(à moins que je ne me contente que d’une ceasar salad & 30 boîtes d’ananas).
Je ne vous apprends peut-être rien, mais le chef d’œuvre stratosphérique dont je vais vous parler aujourd’hui, a été une véritable bouffée d’air frais qui a soufflé sur le cinéma international au milieu des années 90. A quelques jours tout juste des 20 ans de sa sortie française en mars 95, reparlons un peu de ce film unique qui a bouleversé les codes de tout un pan du cinéma d’auteur du monde entier.
C’est bien simple, Chungking Express, c’est le genre de film qu’on peut faire tourner chez soi en boucle, qu’on soit là ou pas, juste pour diffuser des ondes positives à travers la pièce. D’ailleurs je le fais actuellement tourner en même temps que j’écris cet article.
En réalité, c’est surtout la seconde partie qui est davantage propice à ce déferlement de bonne humeur, en particulier grâce à la présence de la pétillante Faye Wong. Mais la première partie n’est pas en reste, bien que plus mélancolique, elle n’en est pas moins non dénuée d’humour, avec ce décalage assez amusant entre les personnages de Brigitte Lin et Takeshi Kaneshiro. Et puis, en fin de compte, c’est bien l’association de ces deux histoires, qui fait tout le charme de l’œuvre.
Mais avant de revenir là-dessus, je voudrais tout d’abord m’attarder un peu sur la genèse de ce projet singulier, qui marquera à jamais l’histoire de notre cinéma contemporain.
En attente d’équipements pour boucler la post-production de son chaotique Wu-Xia Pian sensoriel Ashes of Time/les Cendres du Temps, (dont le tournage s’éternise alors depuis plus de 2 ans)… Wong Kar-Wai profite de cette interruption pour revenir à Hong Kong, afin de tourner et monter en moins de 3 mois, un petit film réalisé dans l’urgence, une sorte de récréation fiévreuse afin de pouvoir décompresser de son œuvre laissée en stand-by.
Équipe de tournage ultra réduite, budget serré, écriture le jour pour un tournage se déroulant en majorité de nuit… Wong Kar-Wai tourne caméra à l’épaule et s’imprègne de l’atmosphère frénétique de la ville, une ambiance singulière, authentique et cosmopolite, qu’il restitue parfaitement à l’écran.
J’aurais souvent l’occasion d’en reparler, mais il faut bien admettre que Hong Kong est certainement la ville la plus ciné-génique au monde. Et devant la caméra de personnes comme Wong Kar-Wai ou Johnnie To, chacun dans leur propre style, la ville n’en est que plus magnifiée, devenant un personnage à part entière, aussi important que les acteurs qui y interagissent.
Concernant maintenant les deux histoires dépeintes dans cet univers, elles n’ont pour ainsi dire aucun « vrai » lien scénaristique entre elles, si bien que chaque partie aurait pu faire l’objet d’un moyen métrage indépendant. L’auteur avait d’ailleurs au départ construit son œuvre comme une trilogie, mais compilera finalement ses 2 premières parties dans le Chungking Express que nous connaissons, et exploitera la dernière pour son film suivant, Fallen Angels (les Anges Déchus). D’ailleurs je ne saurais que trop vous conseiller de vous organiser une séance en double programmation pour découvrir l’histoire dans son intégralité. Néanmoins, chaque film a la qualité de pouvoir s’apprécier indépendamment, chose qui n’aurait en revanche pu être possible pour les histoires qui composent Chungking Express, puisque comme je le disais plus haut, c’est bien de l’association des 2 segments que le film tire toute sa force.
Essayons donc un peu de voir de quelle manière l’auteur s’y est pris, pour tisser les différents liens de son univers si particulier.
Commençons déjà par dire un mot sur les deux personnages féminins… Elles sont le véritable moteur de chaque intrigue… C’est par elles que le quotidien des 2 protagonistes masculins s’en retrouvera à jamais chamboulé. A l’époque de la sortie du film, Wong Kar-Wai disait qu’elles incarnaient la même femme avec 10 ans d’écart. Rassurez-vous, je ne chercherais pas à en détailler les points communs et différences pour ne pas vous en gâcher la découverte (la filiation restant néanmoins assez subtile au demeurant). La nappe de mystère qui entoure chaque personnage fait aussi partie du charme de l’œuvre et je dirais même que c’est presque l’une des thématiques majeures de l’ensemble de la filmographie de notre esthète aux lunettes noires. En revanche, outre certains points communs évidents entre les deux personnages masculins comme le fait qu’ils incarnent des policiers ( traversant tous deux une mauvaise passe amoureuse, couplée à une amusante tendance à fétichiser certains objets), ou bien de se retrouver en constante opposition d’habillement civil/uniforme avec le personnage féminin… c’est encore ailleurs que se trouve finalement le réel fil conducteur du métrage qui unifie véritablement toute l’œuvre, pour en faire un manifeste universel à plusieurs niveaux de lectures…
En réalité, le principal lien qui unit les 2 segments, réside dans sa volonté ‘d’inviter à prendre un nouveau départ’… Le voyage, l’évasion, cesser de se raccrocher au passé, faire un saut dans l’inconnu, autant de choses qui faisaient inévitablement échos à la fin du Hong Kong sous protectorat anglais et à sa future rétrocession à la Chine. Bien que le film pouvait à l’époque être empreint d’une certaine nostalgie, malgré sa tonalité positive, si on prend la peine d’écarter (ou d’ignorer) le fond du propos historique camouflé au sein du récit, c’est en fin de compte un formidable souffle d’optimisme que l’œuvre véhicule. A chacun après de s’y retrouver comme il le sent, mais Chungking Express c’est clairement à mon sens, un film qui fait du bien, et ce n’est pas la reprise en cantonais de la chanson Dreams des Cranberries par Faye Wong, qui viendra me contredire.
D’ailleurs ce casting parlons-en, car le talent en or des acteurs présents à l’écran, n’est pas pour rien non plus dans la réussite du métrage. Déjà commençons avec la légendaire Brigitte Lin aka Lin Ching Hsia pour les vrais 😉 dont les deux dernières prestations à l’écran furent dans les films de Wong Kar-Wai (Ashes of Time et ce film-ci donc). Alors âgée de 40 ans, l’extraordinaire actrice prit ensuite sa retraite et n’est à ce jour, plus réapparue dans aucun film… (même pas pour reprendre son rôle mythique dans le Legend of Zu de Tsui Hark 🙁 ).
Dans son segment du métrage (totalement camouflée derrière une perruque blonde et lunettes de soleil) elle donne la réplique à un jeune acteur Taïwanais (futur grand en devenir) le célèbre Takeshi Kaneshiro. De part ses origines métissées, l’acteur a le mérite de parler couramment cantonais, mandarin, japonais et anglais, la classe quoi !! 😎 C’est véritablement grâce à ses prestations dans les films de Wong Kar-Wai (également présent dans Fallen Angels), que sa carrière d’éternel jeune premier décollera définitivement. Notre Space Traveler poursuivra d’ailleurs par la suite une double carrière, à la fois sur le sol chinois et japonais.
Autre actrice maintenant, celle qui va enchanter la toile pour toute la seconde moitié de la pellicule, la phénoménale Faye Wong. Déjà Star de la Canto Pop à l’époque, la chanteuse propulsée actrice, livre ici une prestation d’un naturel monumental, dont le charme illumine totalement chacune des scènes où elle est présente. Dommage qu’elle se fasse si rare au cinéma, car chacune de ces autres prestations à l’écran en sera tout aussi remarquable.
Son interlocuteur masculin est ici personnifié par Tony Leung (Chiu Wai pour ceux qui confondrait encore avec Ka Fai), acteur emblématique du réalisateur, ayant joué et tourné pour/avec les plus grands de notre île vénérée, incarnant peut-être la figure romantique la plus emblématique du cinéma Hongkongais. Pas grand chose à dire du coup, son jeu simple et décontracté habituel fait encore une fois mouche ici…il sait même comment s’adresser aux serpillières c’est pour dire !
Enfin, notons également la présence de la superbe Valérie Chow dans le rôle de la belle hôtesse de l’air qui fera tourner la tête à notre cher Tony. Dommage que sa carrière ne fut pas aussi importante qu’elle l’aurait méritée…enfin tout est relatif, ce n’est quand même pas tout le monde qui peut se vanter d’avoir tourné à la fois dans Chungking Express & The Blade. 😎
Avant de conclure saluons également l’extraordinaire travail de Christopher Doyle & Andrew Lau à la photographie, qui comme à chaque fois j’ai envie de dire, réalisent des merveilles. Le 1er travaillant avec Wong Kar-Wai depuis son 2nd film Days of Being Wild (Nos Années Sauvages), quant au 2nd, il œuvra pour le réalisateur sur ses quatre premiers films avant de se consacrer lui-même exclusivement à la réalisation (la trilogie Infernal Affairs étant son œuvre la plus connue).
Qu’ajouter de plus, si ce n’est de foncer voir et revoir en boucle ce bijou d’évasion…(sans oublier sa suite, sur laquelle je reviendrai prochainement).
A un moment du film, le personnage de Takeshi Kaneshiro dit que tout fini inévitablement par se périmer… Pour reprendre les termes de sa réplique suivante, je terminerais simplement cet article en disant que si un film comme Chungking Express devait être amené à se périmer un jour, ce ne serait certainement pas avant plus de 10 000 ans !
Merci de m’avoir lu,
En espérant vous avoir donné envie de découvrir ou redécouvrir, cette merveille HK des 90’s.
Sayonara Bye bye !!